« Comme quoi les gens mentent. Je me demande s'ils en sont conscients c'est cela qui m'énerve: l'idée qu'ils mentent sans le savoir.
J'ai envie de leur lancer en pleine figure : " Jouez aux purs esprits si cela vous chante. Affirmez encore que vous ne jugez pas les gens sur leur mine , si cela vous amuse. Mais ne soyez pas dupes!" »
Elle sourit. Profitez-en car il est rare de la voir le faire. Non pas que Shizumi ne sourit pas, bien au contraire : si il fallait la résumer à une expression, ce serait un sourire. Mais voyez, la manière dont ses fines lèvres s'étirent, la lueur de son regard accordée à celle de ses crocs. Nous avons là affaire à du bonheur, pur et simple.
Et quel bonheur ! Se trouver à quelques mètres à peine de deux guerriers, sentir l'adrénaline toute proche et en savourer les bienfaits en soupirant d'aise. Une brume légère semblable à de la fumée s'échappant de nos lèvres, on sourit sans prendre en compte le froid ; chose que l'on n'a jamais craint. Shizumi était comme à son habitude , vêtue d'un kimono et ressemblait à l'une de ses jeunes femmes asiatiques prénommées Geishas. Sa queue touffue fouette l'air avec nonchalance le tout en restant le plus loin possible du sol. Elle n'a beau ne craindre ni la grêle, ni la neige si chose qui la gêne il y a , c'est bien la crasse sur son blanc pelage.
Vous savez, la perfection est un concept dénigrant. Shizumi l'a bien compris ; elle est une idéologie temporaire, déterminé par des hommes d'un avis commun, s'étant répandu comme poudre et suivie par ceux dépourvus d'âmes. Le pire, aux yeux de la renarde, n'étant pas ceux qui déterminaient les règles à suivre pour correspondre à cet idéal , mais ceux qui la suivaient ; elle dénigrait à son tour, tous ceux qui osaient la qualifier de cet ordre.
Les seules règles auxquelles elle accepte de se soumettre corps et âme étant les siennes, elle créa donc à son tour une idéologie du parfait.
Le parfait se doit d'être hideux pour autrui. Il est là à l'aube lorsque le teint pâle et les cheveux bleutés en bataille , on tente de se remettre d'une soirée pour le moins arrosée. Là ; lorsque titubant, on cherche après ce fichu humain pour le corriger. A son paroxysme ; lorsque nos oreilles se remplissant de la douce symphonie de cris et de gémissements, on se réveille enfin et que l'on admire la bête ; notre bête. La matérialisation du parfait sont les lacérations sanglantes sur sa peau ; le dernier soupir et la supplication. Le parfait de Shizumi est la douleur.
«Ils ne l'aiment pas ; car ils ne la comprennent pas. Autrement, il l'adoreraient: ressentir la douleur est un don, la combattre est une preuve de force , en faire son allié , une preuve de génie. Elle est partout , atteint le corps , l'âme et l'esprit , une lame à double tranchant que seuls les initiés peuvent manier. »
Je me suis tue et contentée d' hocher la tête ; acquiesçant en espérant qu'elle se taise enfin.
Shizumi pense et en dit peu. Les femmes qui parlent n'ont pas leur place parmi les dominants ; ces hommes qui ne parlent que d'affaires. Elle respecte leurs règles -à contre cœur- mais n'hésite pas à user de son statut de femme pour obtenir ce qu'elle désire. Le tout sans se dévoiler -de trop- elle n'aurait qu'à les effleurer avec sa main -par exemple- pour qu'ils se mettent d'accord.
«Les hommes sont des serpents venimeux. Si tu leur offres ta chair, ils te mordront et leur venin s'écoulera en toi, se mêlera à ton sang et te tuera peu à peu. Si tu leur offres le son de la flûte, ils danseront comme des marionnettes , tu les domineras de par ta voix et clameront ton corps. C'est à ça que l'on différencie une femme d'une traînée. Il est donné à tout le monde de tendre le bras et à peu d'apprendre à manier la flûte. »
Je me suis contentée de dire qu'elle avait raison et que c'était un salaud ; elle ne m'aurait pas compris.
Nombreux sont ceux qui voudraient pourtant goûter à cette peau blanchâtre , voir dans les yeux jaunes de la glaciale renarde de l'envie et sentir le son de sa voix s'envoler dans un soupir. Or, Shizumi ne se donne pas à n'importe qui et est aussi exigeante en matière d'art que d'hommes -et de femmes- ; offrant à chacun d'entre eux, un traitement différent.
La renarde n'aime pas partager ce qui est sien et en profite tant que ça ne la lasse pas car elle s'ennuie vite. Néanmoins, il est une et l'autre chose sont elle ne se lassera jamais ; la peinture et la lecture. Deux arts auxquels elle s'adonne dans le plus grand secret.
Il fallait vivre heureux, vivre caché , tout comme la beauté du corps de Shizumi. Elle gardait pour elle le plaisir de se voir nue dans le reflet d'un miroir, contemplant tout ce que l'âge lui avait donné et qu'elle a envié autrefois chez sa mère ; des formes, de longues jambes et un regard hypnotique , presque reptilien auquel on ne saurait refuser quoi que ce soit...
I
Il s'est approché de moi, m'a tendu le sachet puis est reparti comme il était venu ; dans la discrétion absolue.
Le jour de l'enterrement de ma mère, mon père m'a offerte ma première carpe koï. Dans mon innocence d'enfant, je trouvai bon de l'appeler Scarlet, à cause des tâches bordeaux sur son dos et passa du temps à l'observer onduler sur mes genoux pendant que la tête baissée, ils priaient.
Père est reparti de son côté, me laissant seule parmi ses inconnus vêtus de noir que je connaissais , pour la plupart, de loin. Le mal aise de la veille reprend place . Très vite, je baisse les yeux et regarde à nouveau le poisson en maintenant le sachet pour qu'il ne tombe pas. Ils n'avaient pas besoin d'un désastre de plus.
Scarlet nageait paisiblement. Les vibrations de ses mouvements dans l'eau parvenaient jusqu'à mes doigts de petite fille de sept ans et sa queue me fascinait presqu'autant que la grâce avec laquelle elle ondulait. Je me suis dite que libre, elle devait être encore plus sublime. Je l'imaginais nager à contre courant , se battant corps et âme pour remonter la rivière. Elle était de ces choses qui étaient régal en liberté , enchaînés par les Hommes pour leur beauté, une nature vive, comme le commun des mortels. Maman, elle, était davantage une nature morte ; c'était dans son immobilisme que résidait sa beauté.
Et je la regardait allongée dans son cercueil , les bras croisés sur sa poitrine et le cou marqué d'une vingtaine de points de suture que le maquillage peina à dissimuler. Elle était comme ses tableaux qu'elle aimait regarder , comme les vases qu'elle collectionnait, d'avantage « invivante » qu'invivable.
Je serrai doucement le petit sachet par son extrémité , offrant un dernier regard à celle que j'aimais , puis observa tout autour.
Quelques femmes, enfants pleuraient, papa aussi et ce, pour la première fois. J'aurais pu être comme eux. Et je l'étais pour tous ces gens qui ne pleuraient pas, qui ne savaient pas à quel point son parfum était doux, sa voix tendre et son amour grand. J'étais triste pour ceux qui la connaissaient et qui auraient voulu la connaître davantage. Triste pour mon père qui avait perdu une part de lui et bientôt la raison , chose que je l'ignorais. Mais en moi, il n'y avait rien. Mon âme s'était vidé de son sang la veille, aspiré par une tristesse vampirique , assoiffée de toute cette joie que mon cœur renfermait. Elle s'est nourri du regret, du manque et du besoin. A son retour de la pharmacie maman devait m'apprendre le piano, m'accompagner au parc, me donner mille autres raisons de l'aimer davantage, mais c'était fini. Je gardais pour mon avenir les souvenirs, les pinceaux, les odeurs et un poisson.
Il fallait faire avec les restes. Les débris de gens qui m'entouraient. J'étais peinée pour eux . Il ne leur restait rien ou trop peu.
Scarlet était toujours dans ma main lorsque je me suis avancé vers Anne, la voisine et que je l'ai serré dans mes bras. Les joues de la pauvre étaient recouvertes de larmes. Je me souviens l'avoir serré de toutes mes forces en espérant que ça passe et qu'elle comprenne comme moi qu'il fallait faire avec, que c'était la vie et qu'on y pouvait rien .
Au lieu de ça, je l'ai sentie se redresser et me sourire en me caressant la joue puis l'ai vu s'en aller. J'ai continué d'aller voir les gens, les « inconnus » et là, un toucher suffisait pour qu'ils se mettent à sourire.
Qu'elle ironie de voir autant de gens heureux à un enterrement me suis-je dite avant que celle que j'avais fui ne me rattrape. J'avais couru le plus vite possible jusqu'à ma chambre, avait fermé la porte à double tour et malgré ces efforts, elle m'avait eu. M'attrapant par la gorge et me broyant le cœur; tristesse.
Ils étaient tous gais à présent et moi, j'hurlais sur sa tombe , je voulais qu'elle revienne à tout prix. Elle me manquait, elle m'était nécessaire comme de l'oxygène.
Mon don avait un prix. Le mien était devenu, avec le temps, hors de portée de la plupart des vivants.
II
Nous nous sommes regardé un long moment sans rien dire. Peut-être était-ce la dernière fois que nous nous verrions. Il était donc capital que chaque instant soit savouré dans la chose la plus belle qui soit : le silence.
Papa était appuyé sur l'accoudoir, le visage défait et la mine pathétique. Il venait de subir une douzaine d' années à mes côtés et cela n'avait pas été de tout repos. Je prends à témoin les nuits qu'il a dû passer à m'attendre. Toujours assis sur ce même canapé, sa pipe en main et l'esprit à moitié dans les limbes ; appréhendant le retour de sa fille prodigue dont il oublierai les manquements en lui tendant les bras.
Aussi loin que je ne me souvienne, papa ne m'a jamais corrigé de quelque manière qu'il soit. Et je lui en suis reconnaissante car ma foi, ses mains étaient fort grandes. Il se contentait de me dire « Shizumi, je n'ai pas aimé ça » et aussitôt, je me rectifiais. Papa n'était pas dur, mais néanmoins stricte et intransigeant. Son oui était oui, son non était non et sa sentence irréversible. En d'autres situations, il était gai luron et plaisantait dès que la situation le lui permettait. Un bon Meiroo somme toute , mais surtout un bon père.
Je fus donc surprise que le conseil décide de le destituer, sous prétexte qu'il devenait sénile. Il aurait été logique que je le défende, mais ce raisonnement était à porté de tous. Ils m'auraient vu comme la petite fille qui défendait son cher et tendre père ; comme l'enfant que je ne suis plus. Il fallait voir au-delà.
Je me suis levée de mon siège, tandis qu'ils débattaient sur où l'envoyer et , plaquant ma main sur la table leur ai dit qu'il resterait chez nous ; sous le couvert d'un asservi.
L'assemblée s'est tue, surprise que je ne prenne la parole, sans doute. L'incertitude se lisait dans une multitude de regards. J'ai repris, si ils avaient une meilleure solution, ils n'avaient qu'à proposer. Ils n'en avaient pas. Trois jours plus tard, je lui fis mes au revoir.
Nous nous étions retrouvés dans à l'aube. Je me tenais debout, les pieds nus dans l'herbe. Papa, lui, était assis sur l'une des chaises de jardin , dégustait son café calmement. Comme à chaque fois, un surplus restait coincé entre les poils de sa moustache, devenue grise au fil des ans.
Je ne m'en suis rendue compte qu'une fois retournée, interpellée par sa voix. L'asservi avait demandé si nous voulions autre chose, je lui répondis que non et papa lui dit qu'il pouvait disposer. Je me souviens l'avoir trouvé fort beau et habile de ses mains. Papa avait bon goût.
J'ai attendu qu'Atsuhiko se soit éloigné pour m'asseoir face à lui. Il tendit la main et me caressa la tête , quelques larmes perlaient sur mes joues ; j'étais heureuse.
Nous sommes restés ainsi sans rien dire jusqu'à ce que nous jugions qu'était venu le temps. J'ai serré papa dans mes bras pendant un long moment puis ai quitté les lieux.
Devant la maison, une calèche. Hide m'attendait à l'intérieur. Je le vis et lui tendis mes poignets afin qu'il ne les lie : je n'avais pas le droit de le toucher.
Interlude
Lorsque les cieux sur la terre s'écrasent dans une nuée d'orange , de violet et de jaune ; que le souvenir de ma tête contre son sein, sa peau ardente me frôle. Elle me revient, ma véritable nature. Ma chair est poussière, mon soupir est rumeur emportée par les vents. Je plonge dans l'infini néant, me pose sur le bord de l' abysse et l'observe ; elle m'observe aussi.
Je la vois trônant sur un siège de dépouilles, elle sourit. Ses joues sont creuses, ses iris d'un bleu translucide sont effrayants. Je recule d'un pas, l'enfant s'extirpe des ténèbres.
«Je m'ennuie. » me dit-elle.
«C'est triste. » Répondis-je.
L'abysse referme la porte derrière elle et prend place sur l'une des chaises de velours. Le néant était désormais semblable à un vieux salon. Les murs étaient tapissés d'or et d'ocre, le sol était jonché d' émeraude sur laquelle la petite blonde avait marché. Les traces boueuses laissées par ses pas étaient encore visibles.
«Joue avec moi. »
«Si tu veux. »
L'abysse était douée aux échecs et par douée, j'entends pour une gamine de dix ans. Je l'ai battu quelques fois , mais elle me rattrapait aussitôt. Nous avons joué longtemps, je crois ; la pièce n'avait ni fenêtre , ni horloge. Mais les défaites s'accumulaient et le temps me parut soudainement long.
«Shizumi. »
«Mh... ? »
«Il faut partir maintenant. »
Derrière l'abysse était une porte en noyer. Depuis mon arrivée, un murmure se faisait entendre à travers elle. Le jeu était prenant , je l'avais jusqu'alors ignorée. Mais l'ennui s'installant peu à peu , je tendis l'oreille.
«Je veux partir. »
«Déjà ? Mais on vient de commencer une partie ! »
«Je ne veux plus jouer. »
Je me suis levée de ma chaise et me suis dirigée vers ce qui semblait être la sortie. Je sentais son regard sur moi , scrutant le moindre de mes mouvements. Je lève ma main jusqu'à la poignée et la brandissant, me rend compte qu'elle est fermée. Derrière-moi, l'enfant rit.
«Tu ne pensais pas pouvoir partir comme ça, si ? »
«Je ne te cache pas que j’espérais. »
La petite fille sort une clef de la poche de sa robe bleue délavée et la fait balancer du bout de son index.
«Tu la veux ? »
«Comment veux-tu que je sorte autrement? »
Je suis drôle apparemment, l'abysse ne cesse de rire.
«D'accord...Mais je veux quelque chose en échange. »
«Prend ce qu'il te faudra. »
Elle sourit, les pièces sur la table se mouvent , un vase se brise. Le néant tremble et se remplit d'eau. Je me débats, manque peu à peu d'oxygène. Mes poumons se remplissent de liquide. Je meurs.
III
Je ne suis rien, mais ça n'est rien de fatal, voyez-vous, rien de péjoratif non plus. Et à vrai dire, je m'en réjouis. Je peux clamer à voix haute que mon père et ma mère sont décédés, que mon fiancé est devenu fou et que dans les dernière heures de sa vie, mon père m'a abandonné pour un homme , que cela n'aurait d'influence que dans votre sens . Car lorsqu'on est rien, on a besoin de rien et là réside le bonheur, dans l'absence de désir.
Nous sommes au mois d'Arashi. Le vent ne cesse de souffler dans les branches des arbres dénudés et emporte avec lui les feuilles mortes. Le sol est jonché d'orange, le ciel de gris. Je suis en route pour le Koï-Koï , un ancien salon de thé réaménagé en salle de jeu dont j'ai tout récemment fait l'acquisition. Alors que je n'ai jamais joué à quelque forme de jeu qui soit, si ce ne sont les échecs.
J'aurai trente ans cette année. Le temps passe vite, me direz-vous. J'acquiescerai par facilité. Il est inutile de débattre sur la tangibilité du temps, de brasser de l'air pour rien, il en souffle bien assez aujourd'hui.
A vrai dire, les onze dernières années m'ont paru fort longues. En 42 , j’emménageais avec Hide, mon compagnon de l'époque. Hide était un jeune homme pour le moins atypique. Entre ses cheveux qui tiraient sur le rose et ses yeux bleus, trouver ce qui était le plus étrange requérait de l'impossible ou de vivre avec lui. Il était maniaque et ne supportait pas la moindre crasse. Aussi, nous passions parfois des heures à ranger jusqu'à ce que tout soit impeccable aux yeux de monsieur. Et une fois le soir venu , je n'avais pas le droit de dormir avec lui. Cela impliquait des contacts physiques, une autre chose qui l'insupportait. Aussi, lorsque nous étions seuls, il était fréquent qu'Hide m'attache les poignets. En rue, il ne me prenait pas la main , mais me tenait par l'avant bras lorsqu'il voulait que je le suive. Ça me convenait bien, moi dont les relations étaient influencées par un don plus désagréable qu'utile.
J'ai commencé à ressentir un réel manque de présence physique durant la seconde année de notre vie commune. Il m'est donc arrivé de le supplier de m'offrir ne serait-ce qu'une caresse ou un baiser qu'il refusait catégoriquement, me punissant lorsque j'insistais. Il m'est arrivé de désirer qu'il le fasse souvent , afin que je puisse le sentir. Prenant un plaisir sans nom à être éprouvée , à contempler les marques sur mon dos.
En 44 , Hide demanda ma main, j'acceptai avec joie, espérant que cela aurait un impact sur notre relation, un espoir qui s'évapora bien vite lorsque je compris qu'il voulait que je lui sois entièrement consacrée. Je commençais peu à peu à douter de ce que nous étions. Ça n'influença en rien le désir qui croissait en moi, de jour en jour. Le fait qu'il embellissait d'années en années n'arrangeait en rien ma frustration.
Aussi un soir , alors qu'il venait de rentrer de la bibliothèque, je l'attendis dans sa chambre. La corde dont il se servait habituellement pour m'attacher en main , je m'apprêtais à lui bondir dessus une fois qu'il serait allongé. C'est ce que je fis. Hide était à moitié endormi, il ne se mit à réagir que trop tard, m'ordonnant de descendre ; je refusais.
Mes mains passaient sur son corps et au fur et à mesure que je l'explorais, Hide se détendait. Je pense en avoir recouvert l'integrité, j'en avais tellement rêvé que dans l'élan, je me souviens l'avoir mordu un peu trop fort, saignant sa lèvre inférieure. Il souriait et me regardait comme je souhaite que nous le soyons toutes.
Puis, subitement, alors que mon corps était contre le sien, je me suis mise à pleurer. Je n'avais plus envie de rien. Ni d'Hide, ni de ses caresses, de ses lèvres ou de ses mains sur mon dos.Je m'étais éloignée du lit et le regardait, il pleurait tout autant que moi.
Ainsi, nous étions tous deux nus à la vue l'un de l'autre. Hide était de ceux dont la haine et la colère dirigeaient les agissements. Lui offrir du bonheur était le détruire à petit feu. En le touchant comme je l'avais fait, je l'avais brisé et lui m'avais tout pris ; nous avions honte.
Je suis partie le lendemain matin en lui laissant une lettre d'excuses et la bague. Il va sans dire que nous ne pouvions plus continuer de la sorte, c'était bâtir château sur sable.
Je me suis rendue à Gouka No Nana aux alentours de neuf heures et suis rentrée à la maison vers neuf heures trente. Dans l'étang, Scarlet nageait toujours paisiblement , comme je l'avais laissé il y a cinq ans de cela. Je n'étais pas revenue depuis, mais avait vu papa quelque fois lors d'un repas ou une sortie .
Il ne se trouvait pas en bas et cela m'inquiétait. Papa était de nature à se lever tôt. Tellement qu'il me surprend qu le monde ne lui ait jamais appartenu. J'ai monté les escaliers avec empressement , me suis gratté l'avant bras et ai toqué à trois reprises avant de rentrer ; je n'aurais pas dû. La tête de l'asservi était reposé sur le torse de papa et sa main endormie caressait encore ses cheveux. Tout me parut clair. Je suis sortie aussi vite que j'étais rentrée et me suis assise au bord de l'étang. J'ai pleuré ; A cause de maman qui est partie trop tôt, de ce que j'ai fait à Hide et de la jalousie que j'éprouvais envers cet homme.
Je me suis grattée à sang, Il m'avait piqué.
J'ai passé près d'un mois à l'hospice. Ma peau me démangeait de plus en plus et se couvrait de plaques ; c'est dans ce genre de situation qu'avoir des griffes n'est pas des plus avantageux. Car là où l'humain rougit , la peau de l'ainoko se déchire et saigne.
Je pourrais blâmer Hide pour ne pas m'avoir dit qu'il était une anémone marine, mais c'était de ma faute, je n'aurais pas dû le toucher.
Ce fut ma première rencontre avec l'abysse.
A ma sortie , je me suis mise à chercher après Hide qui semblait avoir disparu. Le retrouver ne fut pas une tâche facile, il avait peu de gens autour de lui. J'aurais préféré ne pas savoir où il avait fini. Le pauvre avait perdu la raison et s'était mis en tête d'arracher la queue à tous ceux qui en possédaient une de quelque manière qui soit.
Ils avaient jugé bon de l'envoyer dans les mines où ils pourraient tirer à profit la force qui était la sienne, il serait utile avaient-ils dit. Je n'ai pas cherché à en savoir plus ou même à le revoir. J'aimais beaucoup la mienne.
Je les avait tous perdus et j'étais seule dorénavant. L'abysse à frappé à ma porte, nous avons joué ensemble pendant quelques temps. Elle m'a montré les tréfonds de nos races et j'ai plongé dedans. Un an a passé avant que je ne retourne à l'hôpital. Un coma éthylique en étant la cause, je n'en étais pas plus fière que maintenant.
J'ai dit adieu à l'abysse dans le courant de l'année, je n'avais plus envie de cette vie. Et ai décidé que je n'étais rien. Ni enfant, ni fiancée, ni fille. J'étais et ça suffisait. J'ai parcouru l'ïle de long en large, cherché à comprendre ce monde qui m'entourerait jusqu'au début de ma seconde vie.
Je me suis prise d'affection pour la pureté de Seiki No Mizu et la beauté des terres sauvages. Durant ce qui ressemble à un pèlerinage, j'ai appris à peindre et à cultiver diverses plantes.
J'ai notamment rencontré des personnes mémorables dont l'adorable Anja, une petite hybride musaraigne doté d'une énergie débordante. Nous avons vécu ensemble jusqu'il y'a trois semaines d'ici , à Tsuku. Je ne pouvais pas l'emmener avec moi, son grand-père avait besoin d'elle et ce monde qu'est le mien aurait emmené à l'abysse la seule personne à laquelle je tiens réellement.
Je me suis installée à Gouka no nana. Les gens semblaient heureux de me voir et m'enlaçaient de part et d'autres. Je compris un peu plus tard que mon père était mort d'une crise cardiaque. Je suis rentrée dans ce qui était désormais mon chez moi et j'ai peint, toute la nuit.
L'enterrement eut lieu une semaine après mon arrivée. Étrangement, Atsuhiko n'y fut pas convié. J'en conclus que c'était à cause de son rang.
Comme la dernière fois, les femmes pleuraient et les enfants gémissaient de faim ou de soif. Les hommes feignaient la compassion et moi, j'étais là, assise avec le vase entre les mains. J'ai quitté la cérémonie un peu plus tôt que tout le monde et l'ai retrouvé.
Atsuhiko qui semblait avoir envie de voir son amant une dernière fois était caché derrière un arbre. Je l'ai reconnu à cause de ses longs cheveux qui planaient dans le vent. Il était semblable à un enfant curieux auquel on aurait interdit la vue de la mort pour l'en préserver. J'étais à mon tour venue le sauver de ce qui m'avait conduit jusqu'ici, le manque. Je lui ai tendu le vase où se trouvait Scarlet, je n'en avais plus besoin.
L'abysse m'avait pris ce qui me bloquait jusqu'alors . Dire qu'il s'agit de mon cœur serait des plus niais mais je n'ai trouvé nul autre mot pour exprimer cela. Aussi fallait-il trouver des personnes comme Anja, capables de toucher la quintessence des êtres qui me sont semblables; l'âme.
En ce point, je suis similaire à un fervent collectionneur de poissons. Le Koï-Koï est mon étang et eux mes carpes, le tout présent pour me protéger de mon nouvel ennemi : l'ennui.