Ruito
Ruito, la course folle de ma vie à commencer quand tu as posé les yeux sur moi la première fois. Toute cette haine ancrée au plus profond de ma chair n’est que la répercussion de tes actions, tout cet amour féroce n’est que le répondant de ce que tu m’as offert. Je ne suis pas quelqu’un de bien, tout comme tu ne l’as pas toujours été. J’ai fait des choix pour te punir, pour me punir, pour nous écorcher vif, arrachant les lambeaux de peaux de nos cœur pour mieux que notre sang s’épouse et se mélange.
Je te hais, purement et simplement. Je n’ai qu’une envie, celle de voir ton sourire fracassé par le chaos de mes poings, voir ta peau mate meurtrie par les bleus que je t’aurais infligés. Nous avons eu de la tendresse il fut un temps, mais tout cela est bien loin derrière nous.
Je t’aime, purement et simplement. Je n’ai qu’une envie, celle de me glisser dans tes bras pour me sentir vivant, baiser ta bouche jusqu’à ce qu’elle s’abîme sous le fracas de mes lèvres. Nous avons cru que nous pourrions défier les lois, mais nous étions juste deux pauvres fous.
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Toi
Te souviens-tu de la devise des Aznar ?
« Sem mágica, o espírito continua forte ». Sans magie, l’esprit reste fort. Te souviens-tu que je suis né sans magie ? Enfin, pas tout à fait, mais ton influence dans le château des Aznar a fait qu’il a toujours été plus facile pour moi de vivre sans. Je m’en suis passé, car même enfermé dans ta tour, tu avais assez de présence pour influencer certaines pièces de la demeure. Combien de fois j’ai regardé par la fenêtre de la bibliothèque pour observer la grille de ta prison, espérant y voir tes cheveux briller un court instant ?
Tu étais là depuis plus de quarante là, tu as connu mon grand-père, mon père, puis moi. J’étais celui qui allait hériter de ta présence, de tes dons, de ton tout être. Tu allais devoir m’obéir, m’appartenir pour toujours, puis certainement à mon fils et mon petit-fils jusqu’à ce que ta longue vie prenne fin.
Mais les choses ne se sont pas tout à fait passé comme elles auraient dû, n’est-ce pas ?
Te souviens-tu de ce jour, où du haut de mes trois ans je t’ai rencontré pour la première fois ? Je t’ai aimé dès le premier regard. On peut dire ce que l’on veut, j’ai su à l’instant où nos yeux se sont croisé qu’il y aurait quelque chose entre nous. Je n’étais qu’un gamin qui savait à peine lire et écrire, encore moins utiliser la magie, mais au fond de ma chair, je savais que je serais capable de grandes choses pour toi. Tu étais si différent, ta peau foncée, beaucoup plus que la mienne, beaucoup plus que celle de père qui était un pur Esmeralda, tes cheveux était argenté alors que tu semblais si jeune et tes yeux dorés ont su faire résonner en moi quelque chose qui à cogner si fort dans ma poitrine que j’ai explosé en sanglot.
Combien de fois je t’ai vu debout à côté de mon père, Guilherme Aznar, où à genoux devant lui en te faisant rouer de coup, ton sang roulant de tes lèvres ? Combien de fois je suis resté accroché à la jambe de mon père alors qu’il te battait sans pitié car tu ne voulais pas obéir ? Combien de fois je t’ai vu poser la main sur ces hommes terrifiés et pouvoir ainsi décider de leur destin ? Tu savais quand ils mentaient, tu pouvais discerner leur mensonges aux milieux de certaines vérités, tu pouvais entendre ce qui se passait derrière les murs. Tu as été l’atout de ma famille pendant des années, tu étais là à chaque cargaison, à chaque amarrage devant ces bateaux remplis de marchandises ou d’humains dépités. Tu étais là quand les hommes de mon père triaient chaque Inexistant qui se rendait chez toi, tu étais là quand ils égorgeaient ceux qui seraient trop faible pour tenir la traversée, tu étais là quand il fallait savoir pourquoi la moitié d’une cargaison avait disparu et qu’on arrachait les ongles des matelots, ou qu’on leur cassait les doigts un par un pour savoir qui avait volé les caisses rempli de denrées rare ou d’Ezer en provenance de Migoto.
Tu étais tous le temps-là, tu as tout vu, tout entendu, et malgré tout, tu étais capable de me sourire.
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Moi
Ma famille n’a jamais été un modèle de pureté et si certains préfèrent s’affairer à la magie, mon grand-père et mon père ont toujours pensé que l’esprit devait être fort, que le raisonnement prônait sur la facilité magique. Alors oui, certains bateau était dissimulé sous des dons, des cargaisons entières pouvaient disparaître par un simple claquement de doigt, mais j’ai été élevé dans l’optique d’utiliser ma cervelle plutôt que d’agiter les doigts pour me servir un thé. Nous vivions sur une île éloignée dans l’archipel d’Esmeralda. La famille Aznar est une des plus anciennes et c’est elle qui gouverne la petite île de Puerto Maria Luisa. Le commerce et les bateaux sont une des choses les plus importantes dans la famille, les mariages aussi car ils assurent une prospérité à la famille et surtout des liens dans beaucoup de pays. Mon père siégeait parfois au Conseil de Puerto Esmeralda pour les décisions importantes, son influence lui à permit de prendre pour femme une étrangère proche de l’empereur du Zanshi. Hou-chi Zhou était une noble respectable qui fut ravi de quitter le Zanshi pour voir un peu du pays.
Je ne pourrais pas vraiment dire si il y a eu de l’amour entre mon père et ma mère, mais ils s’entendaient à merveille, étaient souvent complices et partageaient beaucoup d’idées communes. Pour eux le commerce d’êtres humains semblait être un commerce comme un autre et pour ma part, cela ne m’a jamais posé de problème non plus.
Toi, tu n’étais pas de cet avis, combien de fois nous sommes nous disputé à ce sujet, criant à voix basse dans cette prison humide. Le fort écrase le faible, ainsi va la vie. Si tu n’es pas capable de résister, de raisonner alors tu n’es pas utile. Je me souviens de ces corps tremblant, terrassés par ton influence anti-magique. Cela leur faisait tout drôle de se trouver aussi démuni, aussi impuissant. Quand on compte trop sur quelque chose l’on ne peut que perdre la partie quand cette chose nous échappe.
J’ai grandis à tes côtés, te regardant d’abord de loin, j’ai assisté à chaque interrogatoire, à chaque accostage et la violence n’a été qu’une éducation comme une autre. J’ai appris à parler beaucoup de langue, dont la tienne. Tu trouvais ça amusant mon petit accent et tu riais doucement quand je prononçais mal les mots.
Je me souviens de tes sourires malgré tes yeux un peu éteint. Tu fixais l’horizon comme si quelque chose t’attendait tout-là-bas, et j’avais peur que tu ne m’échappes. J’avais peur qu’un jour tu disparaisses et que je sente gonfler en moi cette magie qui m’étouffait un peu. Je n’ai été bien qu’à tes côté, quand tu étais dans mon champs de vision je me sentais rassuré. J’ai répondu à tes sourires par des sourires malgré mon jeune âge. J’ai fait beaucoup de chose pour te plaire, j’ai lu des livres sur ton pays, j’ai déposé des gâteaux sous la porte de ta prison. Cette prison que je voyais de ma chambre, cette tour au bout du long chemin, accolé à la falaise dont la mer léchait le gré.
Je n’étais qu’un enfant, un enfant qui savait que tu lui appartenais, un enfant qui avait appris très tôt à se battre et à faire fonctionner sa cervelle.
Ne crois-pas que je ne sache pas utiliser la magie, mais je n’y jamais pris de véritable plaisir, préférant suer sang et os sous les efforts physiques que de devoir me concentrer pour faire exploser un buisson ou faire voler quelques meubles. J’ai toutefois appris rapidement à me dissimuler, à changer mon visage par des illusions, à me fondre facilement dans la foule. C’était amusant de tromper ma mère et de sortir la nuit pour te retrouver. Je restais derrière la porte de prison et nous parlions toute la nuit de choses inutiles.
J’avais à peine dix ans, et maintenant un petit frère de trois ans, Alcindo Wei Aznar. C’était un véritable petit prodige de la magie. Mon père à préférer le tenir un peu éloigné de ses affaires quand il a vu de quoi il était capable. Il lui a offert des professeurs réputé en Himéro pour lui en apprendre plus, et moi je me contentais d’apprendre la maîtrise du Jian avec ma mère, du tai-chi et de suivre mon père dans tout ce qu’il entreprenait.
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Nous
J’ai grandis dans un monde cruel où la valeur humaine était décidée par le lieu d’où tu venais. J’ai appris très tôt à ne voir là que de la marchandise et à calculer rapidement combien un homme ou une femme pouvait rapporter. J’ai su déceler sous la crasse et derrière la peur la véritable valeur d’une personne. Et à côté de tout ça, je t’aimais de plus en plus. Je grandissais, ça commençait à me ronger peu à peu, je te cherchais des yeux, de plus en plus sur les docks privés de ma famille. J’avais envie de plus, et les filles du village me semblait bien pâle à tes côtés. Tu étais différent, si différent des autres.
Je t’ai avoué mon amour un jour comme un autre, alors que nous regardions un bateau en partance pour Migoto s’éloigner doucement. Je t’ai dit que mon cœur ne battait que pour toi, que je t’aimais depuis toujours. Tu as ris et tu m’as dit que j’étais fou. Je t’ai demandé de poser la main sur moi pour voir si je mentais, mais tu ne l’as pas fait, tu t’es juste éloigner, comme si de rien n’était.
J’étais jeune, un peu fou c’est vrai, alors je t’ai écrit de longues lettres que je glissais sous ta porte, je te répétais sans cesse que je t’aimais, plus que tout, que tu étais tout pour moi. J’avais le cœur qui battait à tout rompre à chaque fois que je savais que j’allais te voir, j’avais envie de te retenir par la main quand tu me tournais le dos. J’avais envie de t’arracher le visage quand tu fixais d’autres visages, où que tu te forçais à rire avec mon père.
J’ai voulu t’enchaîner à moi, j’ai voulu te prouver que tu m’appartenais, j’aurais pu t’avoir par la force, mais cela aurait sans doute tout changé non ? Des fois je me demande si cela n’aurait été au final pas plus simple, j’aurais eu ce que je voulais, tu m’aurais détesté et tout se serait terminé.
Mais hélas les choses n’ont pas été comme cela. Non, tu as répondu à mes sentiments et j’ai été l’homme le plus heureux du monde. J’étais un peu trop jeune et trop téméraire, alors tu as préféré attendre. J’exultais de savoir que ton cœur m’appartenait. J’avais envie de le crier au monde entier, mais je me contentais de garder cela secret, je détournais les yeux quand mon père te frappait parfois et je te relevais dans son dos.
J’avais envie de plus, ton corps me fascinait, tes yeux, ta peau, tout en toi me donnait envie. Peu après ma majorité, tu as enfin cédé. J’ai eu ce que je voulais et j’en ai redemandé. Tu étais si, animal, si désirable, je ne voulais plus te quitter, je voulais que chaque instant de mon existence tu sois à mes côtés, mais je devais me contenter de regarder ton visage lointain par la fenêtre de ma chambre.
Ces années ont été les plus heureuses de ma vie. C’était devenu un jeu, fuir le château le soir pour descendre la falaise et grimper jusqu’à ta tour. Je ne pouvais plus m’en passer, j’avais besoin de toi, de ton corps en moi, de mon corps en toi. J’avais la peau qui me chauffait, c’était terrifiant et je riais pour cacher ma peur, pour cacher ce terrible sentiment qui se montrait trop envahissant. Je répétais sans cesse que je t’aimais, plus que de raison, que j’aurais tout fait pour toi et c’est là que tu as commencé à me glisser ces idées sournoises dans l’esprit.
Fuir. Fuir loin d’ici, tous les deux, aller sur Migoto, te libérer pour que tu rentres, que je vienne avec toi. Si j’avais su, j’aurais refusé, si j’avais su j’aurais tout fait pour te garder, je t’aurais sans doute enchaîné au mur, je t’aurais frappé de toutes mes forces, j’aurais glissé autour de ton cou un collier de fer et je t’aurais attaché comme l’animal que tu es. Mais non, j’ai été assez sot pour croire à tes paroles, à un possible bonheur au grand jour, sans honte et sans différence. J’y ai cru, moi celui qu’on avait éduqué pour utiliser son cerveau, mais j’ai compris bien plus tard pourquoi personne ne se mariait par amour. L’amour est quelque chose d’irraisonnable, qui ne fait que prendre de mauvaises décisions. J’aurais dû écouter ce que père me disait…j’aurais dû.
Mais emporter par ces affres, j’ai attendu que père, mère et Alcindo soit absent pour t’aider, je t’ai libéré et j’ai payé grassement un des contrebandier d’Inexistant pour qu’il te prenne avec lui. Tu te fichais des conditions de voyage, tu voulais juste partir, quitter cette île, préparer ma venue à Migoto, m’obtenir un visa. Tout semblait si facile.
Je t’ai embrassé une dernière fois sur le ponton de bois où était amarré le bateau. Tu m’as dit qu’on se revoyait bientôt, dans quelques mois, que tu ne nous trahirais pas, que tu m’aimais, c’était l’affaire de moins d’un an et je t’ai cru. Tu es parti sur le bateau et tu as disparu de ma vie à tout jamais. La suite n’a été qu’un enfer de haine, de colère et de rancœur.
J’ai fait porter ta disparition sur un des domestiques avec qui tu parlais des fois, tu n’avais pas besoin de le savoir. Il a été pendu à l’un des mats des bateaux de mon père et j’ai guetté chaque jour le courrier, espérant enfin recevoir cette lettre qui me dirait que je pouvais venir, te rejoindre. Mais cette lettre n’est jamais arrivée. A la place j’ai un jour vu mon père arrivé en trombe dans ma chambre, suivit de ma mère et d’Alcindo. Ils ont mis des affaires à moi dans un sac et mon père à hurler de courir, de s’enfuir, de prendre le bateau affréter à quai et de fuir.
Tu nous avais dénoncés.
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Eux
Un détachement de l’armée d’Esmeralda arrivait pour nous arrêter. Pour nous punir d’avoir gardé un ainoko prisonnier depuis la fin de la guerre, pour nous traîner en justice et nous faire payer ce qu’on lui avait infligé. Ruito tu n’étais pas n’importe qui et la justice c’était mise en marche. Notre noblesse importait peu face à la pression qu’exerçait Migoto sur Esmeralda. Si nous n’étions pas livré, se serait la fin du commerce d’Ezer avec eux.
Je n’avais jamais vu mon père dans cet état, son visage était crispé, nous avons descendu l’éternel chemin qui menait au quai, ces longues marches le long de la falaise. Nous avons vu le bateau prêt à partir et mon père à jeter nos affaires à quelques matelots. Il nous à serrer si fort dans ses bras, ma mère, Alcindo et moi, si fort que j’en ai mal aux os. Nous savions que c’était un adieu et la rancœur envers toi à commencer à enfler.
Nous sommes montés sur le bateau et il est resté sur le quai, ce père qui m’avait aimé de tout son cœur et qui t’avait battu de toutes ses forces. Il nous a salués et ma mère, en tant que Zanshi est restée imperturbable. Seuls ses yeux semblaient affectés, humides et elle a détourné le visage. J’ai gardé Alcindo contre moi, nous avons vu la silhouette de mon père remonter les marches et se diriger dans le château qui appartenait à notre famille depuis des générations. La nuit est tombée et au loin, alors que le bateau voguait des flammes embrasaient ce qui avait été notre demeure.
Mon père est mort ce soit là, refusant de se rendre, donnant son cadavre comme preuve de notre présence dans la maison. Des domestiques ont péri avec lui, et quand j’ai enfin pu quitter des yeux cette petite tâche de lumière, le bateau était déjà bien loin, masqué par la magie.
Nous savions que notre vie allait prendre une nouvelle tournure, que nous allions être traqué, peu importe où nous irions. Mais mon père avait pensé à beaucoup de chose depuis ton départ, il n’utilisait peut être pas la magie, mais il savait utiliser son raisonnement.
Nous étions sur un bateau pirate et le capitaine était un ami de la famille de ma mère. Nous sommes restés sur le Shui-Kan pendant de longues années sans mettre un pied à terre.
A nous trois, nous sommes devenus des membres à part entière de l’équipage et la magie d’Alcindo nous été vitale. Au départ, nous avons trimé comme les mousses que nous étions. Les matelots nous regardaient d’un œil suspect, cela a été difficile de gagner leur respect, mais ma capacité à garder la tête froide, à savoir me battre et à être endurant m’a rapidement fait rentrer dans l’équipage. Je ne souriais plus beaucoup, je devenais amer et chaque soir je repensais à ton visage, à ce feu qui avait envahi la maison. Nous avons essuyé des tempêtes, nous avons déchargé des cargaisons entière à la force de nos bras et je n’ai jamais cru que ma mère, qui était une femme cultivée et raffinée puisse résister à autant de travail. Elle avait coupé ses longs cheveux noir pour ressembler à un garçon Zanshi, bander son torse et crachait comme les hommes quand on venait l’emmerder d’un peu trop près. Sa véritable force a été de savoir s’adapter à chaque situation. Tu ne l’aurais pas reconnu si tu étais passé à côté d’elle.
Ma mère t’as toujours apprécié, Ruito, peut être que tu ne t’en doutes pas, et même si s’habituer à ta présence lui a été très difficile, elle a toujours dit à mon père qu’il te traitait trop durement. Elle veillait à ce que tu es à manger tous les jours, de la bonne nourriture et pas juste la gamelle remplit de semoule que te donnait mon grand-père. Elle ne t’a jamais adressé la parole, mais parfois elle me parlait de toi.
Alcindo a eu beaucoup de mal à s’adapter. Lui qui n’était pas très porté sur les choses physiques en a baver. Se faire sa place sur le navire lui a été difficile, il est passé plusieurs fois par-dessus bord lorsque l’océan était déchaîné. Je l’ai souvent repêché, avant qu’il apprenne à ne plus succomber à la panique et à rester calme.
Chaque nuit, du fond de mon hamac, je te haïssais, un peu plus chaque jour. Tu nous avais retiré tout ce que nous avions, mais plus que ça, tu avais trahit ta promesse, envers moi. J’aurais pu te pardonner si tu avais fait payer mon père, mais tu me faisais payer moi, mon frère et ma mère. Nous touchions le fond et mes mains tremblaient rien que de penser à toi. Je voulais t’écorcher, te frapper et te massacrer. Je haïssais ce visage et ce sourire que j’avais aimé. Je n’avais plus rien à quoi me raccrocher et plusieurs fois j’ai été tenté de me glisser dans une cargaison d’Inexistant pour te retrouver et te faire payer, pour me glisser dans ta maison, te réveillé en sursaut et glisser lentement la lame d’un poignard le long de ta gorge. Ton sang aurait coulé lentement le long de ta peau mate. On nous aurait retrouvé tous les deux le lendemain mort mais enfin libéré.
J’aurais pu, mais je suis resté sur Shui-khan, j’ai nettoyé le pont comme un chien, j’ai enroulé les cordes et des voiles, j’ai affronté d’autres pirates, j’ai appris à devenir plus fourbe dans mes méthodes de combat, à gagner à tout prix, à ne pas hésiter à viser les endroits vitaux. Je me suis fait tatouer le dos, pour ne pas oublier cette haine, cette vie qui était maintenant la mienne. Nous voulions retourner au Zanshi, mais nous savions qu’avec les origines de ma mère, l’armée nous attendrait. Alors nous avons vogué proche du seul endroit où ils ne chercheraient pas. Le Capitaine, Boïchi Nuo Chow travaillait pour le compte de la branche de la famille Zhou auquel appartenait ma mère et son commerce ne concernait pas vraiment des cargaisons d’Ezer ou de marchandises quelconques. Il ne traquait pas souvent les Inexistants, non, il transportait des choses beaucoup plus rare, quelque chose de beaucoup plus précieux. Des ainokos.
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Lui
Nous mouillons régulièrement dans des criques près de Migoto, et l’on sentait cette force qui annulait notre magie, nous étions tendu, sur le qui-vive en permanence car notre barrière magique s’annulait à chaque nouvelle cargaison. Alcinde se sentait mal à chaque fois, il était pris de vomissements et de terribles fièvres. Pour ma mère et moi, c’était différent, nous étions habitué et l’équipage aussi. Dire que tu étais si près, j’aurais pu sauter à terre et te retrouver pour te maudire, mais j’ai préféré garder cette rancune pour le jour où je serais vraiment prêt, prêt à te faire saigner comme un porc, comme l’animal que tu étais. Toute cette colère s’est muée en une haine brutale envers les ainokos. Le Capitaine comptait sur mon œil pour choisir parmi ceux que nous embarquions, ceux qui saurait résister à la mer et se montrer suffisamment docile. C’était parfois compliqué de les maîtriser à cause de leurs dons, mais nous n’en transportions jamais plus de cinq en même temps. Les enfants sont aussi plus facilement malléables, alors nous en prenions aussi quelques-uns. Nous les droguions la plupart du temps, pour ne pas qu’ils se rebellent trop. Un mélange d’herbe Hynafol et de poudre du Zanshi, une drogue qui les rendait un peu amorphe et bien plus docile.
Ce n’était que des animaux, je n’avais pas à pleurer pour eux, je ne pleurais pour personne, surtout pas pour toi.
Un jour, parmi eux, il y eu Denji. Il te ressemblait, énormément. Sa peau était sombre, ses cheveux blanc, ses yeux étaient bleu, mais je ne sais pas, il y avait quelque chose en lui qui m’évoquait ta silhouette. Son odeur peut être. Je suis resté distant, je l’ai regardé assis dans sa cage pendant des jours. Parfois j’allais lui parler, lui donner à manger. Je caressais ses cheveux. Il semblait jeune, peut être mon âge, vingt-deux, vingt-trois ans, pas plus. Je frottait sa tête quand il se tenait tranquille et il semblait parfois un peu sourire comme toi malgré la misère et la peur. Alors un soir pendant que les gars dormait, je me suis glissé jusqu’à sa cage. La mer était tranquille, je l’ai tiré de là, je l’ai fait monter sur le pont désert pour regarder les étoiles. J’ai posé ma main sur sa cuisse et je lui ai demandé ce qu’il était prêt à faire pour survivre. Je me souviens de son regard surprit et apeuré, j’ai plaqué la lame d’un poignard contre sa gorge et je l’ai forcé à descendre sa tête entre mes jambes. Je l’ai regardé faire comme si ça avait été toi, j’ai imaginé que c’était toi. J’ai jouis entre ses lèvres, sur son visage, peu importe à vrai dire. Puis j’ai enfoncé ma lame dans sa gorge sans un bruit et il tombé dans mes bras. Je l’ai gardé comme ça, caressant ses cheveux pendant un long moment, maudissant ton nom et enfouissant tout au fond de moi cet amour que je t’avais porté. J’ai jeté son cadavre à la mer sans un mot. Je l’ai regardé couler en sentant bien que quelque chose coulait sur mes joues. Je venais de te dire au revoir pour la première fois de ma vie. Une page se tournait et j’étais prêt à tout oublier.
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Vous
Deux nouvelles années sont passées, de rapt en échange, de commerce douteux en tempête effroyable. Ma mère me parlait de ma famille en Zanshi, de l’envie de les revoir, du Clan Zhou et de ses différentes branches. Mais nous ne pouvions pas quitter le navire. Elle aurait aimé retourner auprès de l’empereur mais elle se contentait d’écrire des lettres qu’elle n’envoyait jamais. Alcindo s’était fait à la présence des ainokos, et quand le bateau voguait à vide, il s’entraînait à dissimuler au mieux le navire, combinant des sortilèges entre eux pour nous rendre invisibles.
Tu te doutes de comment l’histoire finit non ? J’ai été capturé avec Alcindo alors que nous portions en secret les lettres de ma mère à sa famille dans la Capitale du Zanshi. Nous avons été ramenés dans la branche de la famille Zhou à laquelle appartenait ma mère. Nous avons été présentés à l’empereur, la tête basse, les mains attachées dans le dos, comme des renégats. Il souriait, tranquillement, comme amusé par la situation cet empereur. Il savait qui nous étions, il savait ce que nous faisions pour lui, pour le compte de la famille Zhou, pour remplir ses laboratoires. Nous l’avons supplié de nous garder près de lui, de ne pas nous rendre aux forces d’Esmeralda.
Mais Migoto avait finit par découvrir que nous n’étions pas tous morts dans cet incendie, cela avait prit des années, mais la roue de la justice était de nouveau en marche. Peu importe que ce que nous faisions plaisent à l’empereur ou non, il ne pouvait s’engager personnellement pour une famille à moitié Zanshi qui avait désobéi aux nouvelles lois et qui compromettait sa paix factice avec Migoto, mettant en péril les cargaisons d’Ezer.
Nous avons embarqué quelques jours après pour Migoto, Alcindo pleurait à côté de moi et je gardais son visage dans mon cou. Il était encore si jeune, il savait ce qui nous attendait. Nous allions devenir des esclaves, pour toujours. Nous sommes restés enfermés dans la cale pendant de longs jours, nous sommes arrivés un matin où le soleil brillait fort malgrés l’hiver qui arrivait. Nos papiers étaient en règles, notre visa d’esclave aussi. Puis nous avons été séparés de force. Il a crié, hurler, tellement fort, je revois encore son visage déformé par la terreur, j’ai donné des coups d’épaules pour courir vers lui, je me suis débattu comme un chien, frappant là où ça faisait mal, j’ai tendu la main pour attraper la sienne mais quelque chose à cogner contre ma tête et je me suis évanoui.
J’ai finis au fond d’une cage, avant d’être jeté en pâture dans cette vente en enchère. La suite, tu la connais. C’est à cet moment-là, cet instant très précis, où nos regards se sont croisés, retrouvés, rencontrés et toutes cette colère que j’avais mise de côté est revenu au triple gallot.
Voilà où j’en suis arrivé, tout ça cause de toi. J’espère que tu es fier de toi, de ce que tu as fait. Ne vient pas me dire que ce n’est que le revers de la médaille, tu n’es pas le plus doux des agneaux non plus et chaque décision que tu as prises à entraîner notre chute.
Je me suis fourvoyé, tu m’as trahi. Tu m’as regardé dans les yeux en me disant m’aimer et tu m’as tourné le dos. Tu n’es qu’un menteur, un animal, rien de plus et rien de moins.
Je suis peut être cruel, froid, j’ai peut être fait des choses dont je pourrais avoir honte, je mérite sans doute ma place aux enfers et j’ai peut être fait des choix que peu de personne n’aurait fait, mais moi, Ruito, moi je ne t’ai jamais menti.