L’espoir est ce qui anime mon être. Un espoir certainement fou et remplit d’une candeur enfantine, mais à chaque fois que je lève les yeux au ciel, c’est pour envoyer une prière à Taisha. Prier pour que mes rêves les plus fous se réalisent, pour que cette graine qu’une mère sans foi à planter un jour dans mon cœur. L’espoir fait vivre m’a-t-elle chuchoté alors que ses bras fatigué se refermaient autour de moi dans le seul et unique contact que nous avions par jour. Puis elle me repoussait doucement sous le lit qui ployait sous son poids et sous celui du client qui avait payé pour la baiser. Je fermais les paupières et plaquait mes mains sur mes oreilles pour ne pas voir et entendre. Puis quand le parquet cessait de trembler je rouvrais les yeux pour un court répit.
J’ai grandis là, dans un bordel miteux de Tsumi, asservi de naissance, n’appartenant même pas à ma propre mère. Mais à un patron peu scrupuleux. Je n’ai jamais eu mon propre destin entre les mains et malgré les difformités de mon visage, certains payaient pour me tirer de sous ce lit, pour glisser leurs mains et leurs langues sur mon corps juvénile.
L’espoir, d’un jour une vie meilleure s’éloignait. Chaque jour un peu plus.
« Je prends ces quatre-là… » Pointe un homme richement vêtu alors que les enfants du bordel sont alignés dans une chambre. Je me penche en avant, essayant de discerner ceux qui ont été choisis. Les bandages qui masquent mon visage me cachent un peu la vue avant de sentir une ombre me surplomber. Ils sont deux à venir régulièrement, ils observent les gamins sous toutes les coutures. Ils se nommaient Masaru et Nowaki. Je ne savais pas à l’époque qui ils étaient, mais j’ai dû mon salut à Masaru. Ils existaient entre eux, une rivalité certaine, faites sans doute de par leur âge similaire et leur fonction égale.
J’ai senti une main soulever mon visage et le tourner vers la lumière :
« Que penses-tu de lui Nowaki-san ? »L’ainoko lémurien s’avance, ses mains agiles glissent sur mon visage, dégageant mes cheveux sombres, glissant sur cette paupière difforme et cette mâchoire proéminente. Ma queue se glisse entre mes pieds. Je n’aime pas qu’on me regarde ainsi.
« Il est trop laid, il ne fera jamais l’affaire. Trop de travail. Puis il a l’air complétement stupide ! »Masaru rit de bon cœur et laisse sa main sur ma tête pour frotter mes cheveux :
« Il me plaît bien, j’aime son regard déterminé ! Je prends celui-là, je paris que je pourrais le vendre plus cher que les quatres que tu as choisis. »Les yeux de Nowaki se rétrécissent, la tension dans la salle se fait plus lourde. Il me jette un vague regard avant d’hausser les épaules et de se détourner :
« Pari tenu, mais ne viens pas pleurer quand tu auras perdu. Il est bien trop difforme pour être un asservi de plaisir. Personne ne voudra de lui. »Masaru rit doucement :
« Nous verrons bien, nous verrons bien. » Masaru est grand, puissant, ses oreilles orangés et tigrés toujours pointés vers l’avant. Il s’accroupit face à moi, je me souviens d’avoir senti ses moustaches frôler ma peau.
« On va faire de toi le plus beau de tous, tu verras….Tu seras plus fort que les autres, car à toi, la vie ne t’a vraiment rien donné. »Puis il a ri et m’a entraîné dans son sillage. J’ai quitté le bordel, avec un seul regard en arrière, pour ma mère qui me chuchotait de loin de garder l’espoir.
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« Tu me donnes quoi en échange Masaru pour que je m’occupe de ton mioche ! » Demanda un homme en boucle blanche un peu tâchée, alors qu’il me fixe assit sur une table de consultation.
Il est assez petit, extrêmement mince, son visage est agité de léger tic mais son regard bleu est intriguant. Ses longs doigts soulèvent mon visage, il l’inspecte sous tous les angles, donnant des pichenettes dans ma paupière difforme. Cela me fait mal, mais je ne dis rien. Masaru m’a dit de me taire, alors je lui obéis.
« Un ou une asservi que j’ai formé, celui ou celle que tu veux… »L’homme maigre se redresse et fixe Masaru d’un œil suspicieux :
« Tu veux dire que tu serais capable de m’offrir un de tes précieux élèves juste pour me voir raboter le visage de celui-là ? »« Tu as bien compris Raku-san. »« Ta patronne ne va pas être contente mais puisque tu le propose. Viens avec Tomoyo, c’est ta plus belle réussite. »Masaru acquiesce en souriant. Il me fixe alors que j’ai un peu peur. Je n’ai même pas dix ans et j’ai vécu le visage caché pendant tant d’année. Même au Washizuki tout le monde se moque de moi. Je suis laid, il faut le dire. Pourtant je suis là, au milieu de tous ceux brillant de particularités rare. Ils ont les yeux étincelants, la bouille rondes et soyeuses, sous la crasse qu’on leur a retiré, ils sont beaux, sublimes, gracieux. Ils virevoltent entre eux, même leurs rires est déjà séduisant. Moi je reste là, assit dans l’ombre, le visage bandé, à lire tout ce qui me passe sous la main. Depuis que Masaru m’a enseigné, je ne fais que ça. Lire et lire encore. Je suis seul, j’aimerais jouer avec eux, mais les seules fois où je peux être proche d’eux c’est quand il faut s’entraîner pour les massages. Ils tirent à la courte paille pour savoir qui sera avec moi, pourtant je m’applique, chacun de mes gestes tente d’être gracieux. J’arrive parfois à les faire s’endormir sous la pression de mes doigts.
Mais aujourd’hui Masaru m’a emmené ici, chez cet homme qui va me rendre beau.
« Y en a pour plusieurs mois, et je ne pourrais pas effacer les cicatrices, tu en es bien conscient Masaru ? Il va souffrir, atrocement. » Masaru sourit :
« Fais-le, sinon tu pourras dire au revoir à Tomoyo. »L’homme soupire et enfile une paire de lunette. Dans la pièce s’étalent des schémas et des croquis de squelette humains ou animaliers. Il prend une pommade, puis me tend un thé chaud :
« Bois ça, ça te rendra somnolent. »J’ai peur. Je fixe Masaru. Je sens la pommade être appliqué sur ma paupière, puis ma mâchoire. Je sens qu’on ouvre mes chairs, mais je n’ai pas mal. Les doigts de l’homme s’immiscent dans ma chair. Il compresse les os, tâte, touche, fouille, puis mes mains se crispent sur la table. Je ferme les yeux, la respiration erratique, j’ai envie de dormir mais je n’y arrive pas. Je sens ses doigts faire des allées et retours sur mes os. Il sculpte, forge l’os, pendant de longues heures. Masaru reste là, immobile. Je m’endors finalement, pour me réveiller avec des bandages sur le visage et une douleur atroce qui me transperce. Je gémis, j’ai mal, ma peau me tire, mes os sont comme transpercé, toute ma chair tremble. Je pleure, Masaru me porte dans ses bras. Il chuchote qu’il est fier de moi. Que je vais devoir y retourner car ce n’est pas finit. Mais qu’après ça, je serais le plus beau de tous.
Je ne dors pas pendant plusieurs jours tellement la douleur me lancine, c’est un enfer. Je pleure dans le dortoir, n’osant plus toucher ce visage aux bandages ensanglantés. C’est encore pire, plus personne ne s’approche de moi, ma peau vire au bleue, puis au marron. Puis j’y retourne. Deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois peut être. Mon visage n’est plus qu’une plaie géante. J’ai maigris je n’arrive plus à manger, ni à dormir. Je suis seul et j’ai mal. J’ai envie de m’arracher la peau pour que tout cela cesse enfin, j’ai envie de planter mes ongles dans mes yeux pour les arracher mais je n’ai pas le droit de faire cela. Non je n’ai pas le droit.
Si j’avais été libre, est-ce que tout cela serait arrivé ? Est-ce que j’aurais eu à subir toute ces souffrances ? L’espoir d’un jour pouvoir être comme ceux d’en haut me fait tenir. Sans doute une histoire de revanche à prendre sur ceux qui se sont moqué, sans doute un fol espoir bien sot, mais qui me fait résister.
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« Plus ferme ! Plus humide, tu dois plus saliver Teruki, utilise mieux ta langue. Aller, d’avant en arrière, oui comme ça. Pense à le regarder quand tu fais ça. Excite-le, cambre le dos. Ne grimace pas quand tu avales ! » Ordonne Masaru en grondant.
Le goût dans ma bouche est le même que d’habitude. Je commence à m’y habituer. Je m’appelle Teruki maintenant. C’est Masaru qui a choisi. Cela veut dire Espoir Brillant. Les formations sont maintenant devenues plus intime depuis que j’ai seize ans. Je fixe les yeux de mon partenaire. Ses yeux sont fermés, ses pommettes rouges et je donne un dernier coup de langue sur une cuisse ce qui le fait sursauter et gémir avant de me lever et de m’étirer.
Natsuo ouvre les yeux et me fixe avant de rougir en détournant la tête. Je lui souris avant de lui faire un clin d’œil. Je n’ai aucun mal à trouver un partenaire maintenant. Mon visage est d’une perfection presque absolu. Ma peau est lisse comme celle d’un nouveau-né. Je n’ai jamais aussi bien vu que depuis que ma paupière a été rabotée. J’ai souffert, pendant des années. Quelques fois encore des douleurs dans mes os persistent mais j’y suis maintenant habitué. J’ai trouvé ma place au Washizuki. Masaru est fier de sa réussite et parade devant Nowaki. Je suis encore loin d’en avoir fini, mais le petit garçon difforme a disparu. Je suis des cours de poésie, de chant, de politique pour pouvoir discuter, des cours de danse et de plaisir corporels.
J’excelle dans beaucoup de domaine, ma curiosité me pousse sans cesse à vouloir en faire plus. Pourtant, j’ai toujours cette fâcheuse tendance à fixer le ciel, à prier en silence. Prier pour une liberté qui me semble si lointaine. Pouvoir décider de ce que je veux est un fantasme qui est irréalisable. Pourtant, ce fol espoir, il est toujours ici.
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L’amour est une chose qui nous est interdit. C’est là une des premières choses que Masaru m’a apprise. Ne pas aimer, ne pas s’impliquer. Agir pour son maître, toujours. Être parfait, irréprochable, soutenir la réputation du Washizuki, jusqu’à sa mort.
J’ai été vendu le jour de mes dix neufs ans. Pour une somme encore jamais atteinte. Ma réputation a été sans précédent et le jour de la vente aux enchères la foule se pressait pour m’observer. Ma somme n’a pas couverte l’achat des quatre élèves de Nowaki, mais à quelques pièces d’argent, nous n’étions pas très loin. Masaru m’a souri quand j’ai suivis l’homme qui m’avait acheté. Il m’a serré dans ses bras et m’a souhaité bon vent.
J’appartiens maintenant à Daichi Ankoku. Un noble, cousin éloigné du chef de clan, appartenant à la branche secondaire. J’aurais préféré un maître plus prestigieux pour premier maître, mais la somme qu’il a déboursé pour moi à fait jaser. Puis les Ankokus sont suffisamment important pour apporter du prestige à mon parcours. Car c’est bien là tout ce que j’y vois. Une route à suivre pour arriver à cette liberté tant espérer. Daichi n’est qu’une étape, un bout de parcours qu’il me faut franchir. Ce n’est pas un mauvais maître, même si sa propension pour les orgies à tendance à m’épuiser. Il m’emmène partout avec lui. Je reste dans son ombre et celle de sa femme, mais quand il remarque que quelqu’un pose le regard sur moi, il m’offre en cadeau. Je marque les esprits, hypnotique et gracieux, j’obéis, simplement. Parfois, il m’utilise pour lui-même, parfois il se contente de me regarder faire avec un autre.
Mais c’est par une nuit d’orage que je l’ai rencontré. Lui, celui dont je n’aurais jamais dû tomber amoureux. L’amour est interdit. Pourtant je me souviens encore m’être penché par-dessus son épaule, mes cheveux sombres glissant sur son épaule alors qu’il lisait un livre, observant l’orage à travers les baies vitrés. Je n’avais pas le droit de lui parler, il était un libre qui passait quelques jours chez mon maître. Je n’avais pas le droit de glisser les quelques mots que je lui ai soufflé cette nuit-là :
« Devant l’éclair –
Sublime est celui
Qui ne sait rien ! »J’ai ris doucement, comme je savais si bien le faire. De ce petit rire qui pouvait sembler naturel, alors qu’il n’était là juste que pour séduire. Je me souviens encore de son regard turquoise qui s’était posé sur moi. Intrigué.
« Les haïkus de Basho-sama ont toujours quelques chose d’étrangement nostalgiques, vous ne trouvez pas ? » Je lui ai souris du haut de mes vingt ans.
« Et pourtant, ils remettent en question, tout ce que nous croyons savoir. »Je me suis assis à ses côtés, comme si à cet instant nous étions deux être égaux. J’ai beaucoup parlé, réciter de nombreux haïkus que j’avais appris, déclamer des vers du Desatma que j’avais appris dans leur langue originale. Il ne parlait pas beaucoup, mais m’écoutait avec un respect apaisant. L’aube s’est levée après l’orage, j’ai glissé le bout de mes doigts sur sa joue et rien ne m’est apparu. Pas une once de fantasme réducteur et pervers. Juste un vide, tranquille.
Nous nous sommes quittés pour mieux nous retrouver chaque nuit pendant son séjour. Parfois il venait aux orgies justes pour me regarder, sans jamais participer. Je m’étendais là, sans honte ni pudeur, sous les assauts de certains, mouvant entre les cuisses de femmes et d’hommes voluptueux. Pourquoi aurais-je dis non à mon maître ? Juste pour ces battements de cœurs aventureux qu’il faisait naître en moi ? Non certainement pas. Si la liberté était mon guide, je me devais d’être parfait.
Pendant des années, nous nous sommes retrouvés, cachés pour discuter. Je frôlais son visage, simple geste qu’il y avait entre nous. Nous parlions et j’osais enfin avouer à cette oreille attentive le poids d’un destin incontrôlé. Je l’aimais. Je le savais. Mais je n’en avais pas le droit. Il était beau, intelligent, attentif et d’une douceur sans égale. La nuit lorsqu’on m’étreignait, j’imaginais parfois son corps contre le mien et je jouissais dans des râles qui m’étaient inconnu. Daichi était fier de me soutirer de tels gémissements, s’il avait su…Il m’aurait certainement revendu.
Nous n’avons jamais été découverts. Après tout, nous ne faisions rien de mal. Il n’y avait entre nous que des mots et des regards, parfois le frôlement d’une main dans les couloirs de la demeure, mais quand la situation s’est renversée, qu’il a été accusé de tout ce qu’il fomentait contre Takamori Ankoku j’ai serré la mâchoire.
J’avais glissé à son oreille quelques informations concernant le Chef de Clan, sa passion identique à la sienne pour les hommes, les goûts dépravés de son jumeau impie. Mais il est tombé et je n’ai même pas vu sa silhouette s’éloigner. Je suis resté là, à fixer le ciel bleu chargés de nuage. J’ai prié. Férocement, de toute mon âme. Mais qui étais-je pour que mes prières résonnent aux oreilles de Taisha. Je n’étais personne. Je ne suis personne et quand bien même j’aurais voulu aller le voir là-bas, je n’en avais pas le droit. Je n’étais qu’un gamin à forte valeur marchande.
J’ai refermé ce cœur qu’il avait ouvert et Daichi m’a revendu car il avait besoin d’argent. J’ai appartenu à quelques autres maîtres et maîtresses, voguant de bras en bras, gonflant cette estime que j’avais de moi. J’étais ce qu’ils voulaient que je sois. Parfait.
Mais ma liberté s’éloignait de plus en plus. J’avais l’impression qu’elle n’arriverait jamais.
Puis il s’est enfuit, les murmures de son existence ont fait frémir ce cœur dans ma poitrine, les douleurs dans mes os se sont réveillées. Il est là quelque part…Pourtant je ne le cherche pas. Se souvient-il encore de moi ? Avais-je seulement de l’importance à ses yeux ? Qui suis-je pour oser prétendre posséder son cœur ? Je ne suis rien, si ce n’est une belle enveloppe qu’on a façonné. Je suis ce que les autres veulent que je sois, je ne suis qu’un vide transi de froid.
Derrière la vitre de la boutique, je fixe les gens qui passent. Et si je revoyais ta silhouette, est-ce que tu me reconnaîtrais ? Je vais bientôt être de nouveau vendu. Je vais rentrer dans un nouveau moule. Peut-être que nous nous croiserons sans nous voir, mais pourtant, tout au fond de ce cœur endormi, il y a encore ce fol espoir étincelant….